Partage d’expérience(s) : le SEP 79
La dématérialisation de toutes démarches administratives sera achevée à l’horizon 2022. Tous les services publics seront accessibles en ligne et l’on pourra alors porter plainte via Internet et accéder au logement en signant un bail numérique. Pourtant entre ville et ruralité, le comblement de la fracture numérique connaît de sérieuses disparités.
Initiée par le SEP 79 (1) en 2012 et mise en œuvre en 2013 sur deux quartiers prioritaires de Niort, chef-lieu des Deux-Sèvres, l’expérimentation d’un service d’écriture publique à vocation sociale a rapidement mis en évidence la réalité des besoins. Année après année, la présence de l’écrivaine publique à vocation sociale (« EPVS » pour la suite du document) s’est avérée indispensable du fait d’une demande forte de personnes en difficulté avec l’écrit pour quantité de raisons (précarité, méconnaissance de procédures, illettrisme…). Deux objectifs fondamentaux ont été fixés dès le départ :
– bien cadrer l’action de l’EPVS et la coordonner avec celle de tous les travailleurs sociaux : assistantes sociales « ville » et « Conseil départemental », référents RSA, Pôle Emploi, Mission locale, etc.
– ne jamais « faire à la place de », mais toujours conférer aux usagers toute l’autonomie possible.
Aujourd’hui une vraie complémentarité est réalisée entre l’EPVS et les travailleurs sociaux, lesquels lui adressent les usagers pour des interventions toujours ponctuelles. L’écrivain public rend compte succinctement, mais systématiquement ou adresse au travailleur social idoine l’usager confronté à des difficultés qui ne sont plus alors de son ressort. Sauf rares exceptions, les cas individuels ou familiaux traités par l’EPVS sont toujours en rapport avec l’accès aux droits. Il n’y a qu’à la Maison d’Arrêt de Niort que le SEP aide à la rédaction de courriers de nature bien plus personnelle.
Le SEP 79 salarie une écrivaine publique professionnelle et ses subsides sont :
– un financement « politique de la ville » dévolu, via la Communauté d’Agglomération du Niortais, aux quartiers prioritaires ;
– financement auquel le CCAS de Niort ajoute un budget spécifique pour une présence de l’EPVS sur deux quartiers qui ne sont pas considérés comme prioritaires, mais où est constatée une paupérisation rampante et où les services sociaux interviennent de plus en plus souvent ;
– un financement de la CAF – les interventions les plus nombreuses de l’EPVS concernent la CAF ;
– un financement du Conseil Départemental – 35 à 40 % des interventions de l’EPVS s’effectuent en relation directe avec des assistantes sociales du Département.
L’écrivaine publique, Audrey Rollandeau, diplômée comme conseillère en économie sociale et familiale (2), intervient aujourd’hui sur chacun des trois quartiers prioritaires de la Ville, de même qu’une demi-journée au CCAS de Niort et une autre demi- journée sur deux autres quartiers urbains, Champclairot et Champommier.
Pendant six ans, le SEP n’avait d’expérience qu’urbaine. Or, voici deux ans, l’expérimentation d’une permanence a été entreprise avec tous les intervenants sociaux d’un territoire « rurbain », soit la partie la plus proche de Niort du Marais Poitevin, entre Coulon et Magné où la permanence de l’écrivaine publique alterne selon un calendrier fixé pour l’année. Après un arrêt de près d’un an, les permanences ont repris début 2019 avec cette fois, une information tous azimuts auprès des publics concernés. Grâce à une participation active des élus, des responsables associatifs et bien sûr des assistantes sociales, l’information fait son chemin et le SEP 79 sera en mesure, d’ici la fin de cette année, de faire un état des lieux bien plus précis des besoins, et, si nécessaire, de réorganiser la présence de l’EPVS sur le terrain.
Plus à l’Ouest de Niort encore, le Pays Mauzéen, un autre territoire, tout à fait rural, celui-là. La nécessité d’interventions de l’EPVS en renfort ponctuel des assistantes sociales fut abordée pour la première fois lors d’une concertation menée à la mi-2018 entre le SEP 79 et le Conseil Départemental.
Les communes de ce secteur rural présentent la particularité d’un habitat extrêmement diffus, mais aussi des situations de précarités cachées et une faculté bien moindre qu’ailleurs d’accéder à ses droits pour au moins quatre raisons : l’isolement, une baisse sensible de revenus et l’augmentation des coûts liés aux déplacements (3), l’éloignement des lieux d’accès aux services publics, l’illectronisme et le défaut d’équipement informatique, causes de la fracture numérique.
Un atelier numérique sera mis en place, en alternance entre deux centres socioculturels proches ; cela participera à résoudre la question de la « fracture numérique » et de l’illectronisme, mais la question d’interventions ponctuelles de l’EPVS en renfort des assistantes sociales ou sur demandes de personnes qui n’y ont pas recours n’est pas réglée. On se heurte là à une question de budget qui ne va pas chercher bien loin : le besoin de financement est inférieur à 3 000 € par an.
Or c’est le serpent qui se mord la queue. La question des besoins est bien plus épineuse en milieu rural que sur un quartier urbain, qui plus est prioritaire. En effet, pour connaître un besoin, il faut le tester, être sur le terrain et se faire connaître. Mais faute de financement, impossible d’effectuer ce test et vérifier avec ce budget – pour le moins modeste – la possibilité à toutes ces personnes et familles d’accéder à leurs droits, qui demeure un vrai handicap en milieu rural.
Glissement vers le numérique : une fracture plus difficile à résoudre en territoires ruraux
Depuis les débuts du SEP 79, la nature des demandes a beaucoup évolué, et 2017 a marqué un tournant avec la dématérialisation des démarches administratives. Dès lors, il s’est opéré un net glissement de l’activité de l’EPVS de l’aide à l’écriture manuscrite vers le numérique. Cela nous a conduits, courant 2018, à mettre en œuvre des ateliers numériques qui ont vu le jour au début de cette année sur deux des trois quartiers prioritaires de Niort.
Si désormais beaucoup de démarches administratives s’effectuent en ligne, un usager dont la demande n’est pas franchement urgente sera orienté vers un atelier numérique. Des ateliers qui trouvent leur place assez naturellement dans des centres socioculturels organisés pour des prises d’inscription et censés disposer d’équipements informatiques connectés en nombre suffisant. Ce qui n’est pas toujours le cas, faute de financements.
Depuis le début de l’année, le SEP est passé à Niort d’un à quatre ateliers numériques, les « Ateliers Déclic(s) » basés sur un référentiel pédagogique élaboré par le Réseau EPSO. L’objectif est d’amener chacun.e à bien maîtriser son ordinateur, sa tablette ou son smartphone afin d’être autonome pour ses démarches en ligne (CAF, Pôle Emploi, déclaration d’impôts, cartes grises, documents d’identité, etc.). Les ateliers sont organisés en partenariat avec les centres socioculturels qui prêtent le lieu, le matériel informatique et du temps de permanents.
Les cinq premiers mois d’expérience des « Ateliers Déclic(s) » à Niort montrent une parfaite hétérogénéité des besoins, des degrés de connaissance et de maîtrise de l’informatique et d’Internet. En d’autres termes, nous accompagnons chacune et chacun, quels que soient son niveau et sa difficulté ; les « stagiaires » viennent et reviennent, mais aussi s’aident mutuellement. Et si les demandes semblent parfois éloignées de l’accès aux droits (4), au final nous y revenons souvent, car en faisant le tour des fonctions principales d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un smartphone, chacune et chacun est alors en mesure d’ouvrir et de suivre son compte https://www.impots.gouv.fr ou https://www.ameli.fr/, pour ne citer que ces deux-là.
Deux maillons faibles : le bénévolat et les subsides
L’EPVS et les bénévoles du SEP 79 prennent en charge le démarrage des ateliers numérique en partenariat avec les centres socioculturels. L’un des objectifs est l’apprentissage par les pairs, à savoir des personnes ayant acquis une autonomie suffisante avec l’informatique et les démarches dématérialisées et qui sont en mesure – mais aussi en capacité – d’aider les grands débutant.es qui rejoignent nos ateliers dans chaque quartier.
Or la première difficulté est d’arriver à recruter ces futur.es aidant.es. Premier lieu de nos ateliers numériques niortais, le centre socioculturel « De part et d’autre », occupe une position géographique assez centrale et a vite fait le plein. D’un atelier de 5 à 8 personnes en janvier, nous sommes passés rapidement à deux ateliers d’une heure et demie. Puis, fin avril, une campagne de SMS de la CAF à ses allocataires nous a conduits à ouvrir un troisième atelier le lundi matin. Or vu l’affluence, un second atelier va être nécessaire ce même jour. Et si nous ajoutons à cela la mise en œuvre d’un nouvel atelier sur un autre quartier de Niort, la conséquence de ces ouvertures effrénées est simple : nos bénévoles du SEP 79 – deux retraités et deux en activité – ne suffisent déjà plus. L’urgence est vraiment là !
La conduite des ateliers numériques, soit la gestion des rendez-vous individuels et l’organisation des relations avec les partenaires du SEP sur le terrain, est confiée à l’écrivaine publique de notre association. Et quand bien même nous recevons régulièrement des propositions de bénévoles qui souhaitent remplir l’office d’écrivain public, nous les accueillons bien volontiers, mais comme aidants pour les grands débutant.es des ateliers numériques. Car il est une règle au sein du SEP 79 érigé en principe absolu : l’accès aux droits est une affaire de professionnel.le.
Si la fracture numérique est plus facilement réductible en milieu urbain, notamment dans les quartiers estampillés « prioritaires », la tâche s’avère plus ardue pour les petites villes, comme à Thouars, ville du nord Deux-Sèvres d’un peu plus de 9 000 habitants qui, sans ne bénéficier des budgets destinés à réduire les inégalités territoriales (6), n’en a moins fait le constat de la réalité des besoins « prioritaires » du millier d’habitants du quartier des Capucins.
Une réponse serait toutefois en passe d’aboutir grâce à l’implication notamment de bénévoles de l’association « Être et savoir », très investie dans l’alphabétisation. Un investissement suffisamment actif pour que la question d’un financement soit provisoirement surmontée – mais dans l’attente d’un dispositif plus pérenne – afin d’embaucher un·e interlocueur·trice des usagers et des familles en mesure de répondre à leurs demandes, mais en capacité également de mettre en place un partage intelligent avec les travailleurs sociaux des tâches imposées par la dématérialisation des démarches administratives.
Comme le Réseau EPSO l’avait fait graver dans le marbre voici quelques années avec son manifeste (7), l’égalité de tous devant l’écrit a bien failli être reconnue comme un droit inaliénable. De toute évidence, nous en sommes encore loin et beaucoup reste à faire, mais la profession – plus que jamais indispensable – d’écrivain public à vocation sociale, s’impose comme le recours incontournable des collectivités face à une déshumanisation rampante générée par des démarches dématérialisées qui, manifestement, ne sont pas accessibles à tous dans les mêmes conditions.
Bernard Contaux,
Secrétaire du Service d’Écriture Publique 79
(1) Service d’Écriture Publique 79
(2) Le SEP 79 passera sous peu une convention avec le réseau EPSO pour une formation qualifiante devant conférer en deux ans à Audrey Rollandeau l’essentiel des connaissances et des pratiques spécifiques au métier d’écrivain public à vocation sociale.
(3) L’enchérissement des carburants, les énormes exigences imposées par le nouveau contrôle technique automobile expliqueraient nombre de replis sur soi de personnes éloignées de tous services
(4) « Je souhaiterais savoir comment envoyer des photos avec un E-mail ? » ou « j’ai une imprimante, est-ce que je peux scanner ? », ou encore « comment écrire un courrier, comment le mettre en forme ? »
(5) Centre socioculturel
(6) Le budget 2019 du Commissariat Général à l’Egalité des Territoires prévoit entre autre la création de 1 000 postes d’adultes-relais, le doublement du nombre des emplois aidés FONJEP (pérenniser un projet associatif dont la réalisation nécessite l’emploi d’un(e) salarié(e) permanent(e) qualifié(e) ) plus de création de MSAP, maisons des services au public comme celle programmée à moyen terme pour les quartiers Nord de Niort, etc.
(7) http://lereseauepso.com/un-droit-lecrit-pour-lacces-aux-droits-pourquoi/