L’Écrivain public dématérialisé

Pendant très longtemps, le travail de l’écrivain public dont l’objet est de garantir à chacun d’accéder à ses droits – que cela passe par la rédaction d’un courrier ou la complétude d’un dossier -, se faisait avec le plus simple des appareils : un stylo. Puis vint la dématérialisation…

En 2016, trois acteurs institutionnels – la CAF en janvier, Pôle Emploi en mars et les Impôts en avril avec les premières déclarations de revenus par internet – nous font basculer dans une nouvelle ère : la dématérialisation des démarches administratives, un processus décidé en 2010 et qui doit trouver son terme en 2022.

L’écrivain public, notamment à vocation sociale, fait alors plusieurs constats essentiels. Outre l’obligation d’ajouter un ordinateur sur son bureau pour répondre à ces « nouvelles » démarches, une demande d’APL, par exemple, sur le site de la CAF prend désormais 45 minutes contre 10 au préalable pour la version papier.

Et pour celles et ceux qui, déjà en difficulté avec la maitrise de la langue ou les démarches administratives sont bien souvent les mêmes qui n’ont ni matériel informatique ni usage de l’internet, l’accès aux droits qui était déjà compliqué vire alors à la double peine.

D’autant plus que les services publics ont continué leur mutation. Non seulement chacun est fortement incité à effectuer ses démarches sur internet, mais vivement découragé dans le même temps de se présenter physiquement dans les différents accueils des services publics. Des accueils qui fonctionnent désormais sur rendez-vous uniquement et sous réserve, de plus, que le motif de la demande soit validé par l’institution sollicitée. À cet égard, le Covid et ses mesures sanitaires ont constitué un formidable accélérateur dans cette mise à distance entre les services et les publics…

Qu’à cela ne tienne, l’écrivain public, lui, est resté parfaitement public, recevant sans trier toutes celles et ceux pour qui l’accès aux droits se heurte désormais à des démarches informatiques absconses, des plates-formes téléphoniques aux attentes sans fin, voire sans réponse, et des réponses parfois incompréhensibles, faute de maitrise du français ou du langage administratif.

Mais, parfaitement inscrit dans son temps, l’écrivain public à vocation sociale a su également opérer sa mue pour répondre aux nouvelles exigences digitales de ce XXIe siècle. Devenu socionumérique, c’est pourtant en faisant appel aux fondamentaux de son expertise, l’écrit et sa capacité à faire pour autrui un courrier que l’écrivain public reste un acteur essentiel du travail social face à cet accès aux droits devenu dématérialisé.

Écrire, certes, mais en mettant en oeuvre une connaissance fine des voies réglementaires de chacun des services publics et organismes divers, car l’écrivain public, même socionumérique, est confronté chaque année à près de 150 sujets récurrents de demandes. Mais, surtout, sans rien sacrifier aux fondamentaux de son savoir-être : accueillir, écouter, reformuler avant d’élaborer avec l’autre une réponse argumentée et chaque fois inédite pour une réclamation, une requête ou un recours.

De plus, alors que les demandes de courrier étaient en baisse constante depuis 10 ans, il est patent de voir comment la multiplication ces dernières années des démarches administratives dématérialisées a vu, dans le même temps, une augmentation nette des demandes en médiation d’écriture.

 L’écrit devenant alors, non plus seulement la voie légale pour exercer notamment un recours, mais le moyen de s’adresser directement et d’être entendu par celles et ceux qui hier encore recevaient aux accueils des services publics et qui aujourd’hui se sont tus au profit de formulaires HTML sans âme ou de voix synthétique demandant d’exprimer clairement et simplement l’objet de la demande.

Dès lors, écrire pour l’autre, c’est aussi le rassurer avec ce bout d’humanité que l’écrivain public aura glissé dans l’enveloppe avec le courrier avant de la cacheter. 

Enfin, face aux 10 millions de personnes environ qui ne maîtrisent toujours pas le numérique en France, l’État a décidé de promouvoir de nouveaux métiers comme les Conseilllers numériques et de valoriser de nouvelles filières avec les espaces France Service dont les missions reposent avant tout sur le principe « d’accompagnement » puisque l’objectif est et doit être l’autonomie des personnes. Une ambition respectable, mais qui n’a jamais pris à son compte la médiation d’écriture alors que toute décision administrative doit faire figurer les voies de recours pour la contester. Qui alors pour s’en charger ?

En 2018, le ministère des Solidarités et de la Santé présentait la Stratégie nationale de Prévention et de Lutte contre la pauvreté, un plan très précis en 21 mesures et une volonté affichée de  « Rénovation du travail social » soit « de transformer la formation et certains métiers du travail social » et une incroyable surprise de découvrir que « cela se traduira par la reconnaissance de nouveaux métiers ou de nouveaux diplômes universitaires (écrivains publics, médiateurs sociaux, développeurs sociaux »). On se serait presque pincé pour le croire… et l’on aurait bien fait.

En 2020, forts pourtant de deux licences universitaires (Sorbonne et Université de Toulon) préparant au métier d’écrivain public depuis maintenant plus de 20 ans, les écrivains publics ne figurent même pas dans les acteurs concernés par le volet numérique du Plan de Relance que l’État a commencé à déployer. Pourtant…

Fin 2019, après un état des lieux sur les publics les plus fragiles en situation d’illettrisme et d’illectronisme et en grande difficulté surtout avec les démarches administratives dématérialisées, le Département de Vaucluse, la CAF, la MSA, mais aussi l’État au titre de la politique de la ville décident de lancer un appel à projets afin de faciliter le « recours aux droits ».

Mais, fait étonnant (et probablement unique en France), un des critères principaux de sélection (pondéré à 10 points…) exige que les intervenants des structures candidates disposent d’une qualification… d’écrivain public.

Depuis, l’expérimentation d’écriture publique numérique du Réseau des acteurs de l’inclusion numérique en Vaucluse se poursuit et les intervenants remplissent parfaitement leurs missions. Démarches dématérialisées ET médiation d’écriture, ils sont désormais les sur leur territoire à garantir à chacun d’accéder à ses droits.  Preuve s’il en est que l’écrivain public est encore loin d’avoir écrit son dernier mot.

Franck Danger

Ecrivain public socionumérique

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