La nouvelle est passée à peu près inaperçue, mais, il y a quelques semaines, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi pour une République numérique. Et comme ce projet a pour ambition et pour devise « Liberté d’innover, Égalité des droits, Fraternité d’un numérique accessible à tous et Exemplarité d’un État qui se modernise », démonstration en a été faite immédiatement avec un amendement permettant la création d’un statut pour… les joueurs professionnels de jeux vidéos.
Entendue à la radio, j’avoue que l’information m’a laissé quelque peu songeur. Pas tant parce qu’un député PS et un sénateur UDI sont intervenus efficacement afin que les joueurs vidéos professionnels disposent d’un vrai statut pour pratiquer leur métier en toute quiétude. Après tout, c’est certainement une bonne nouvelle pour les 200 personnes concernées.
Non, cela a fait remonter un souvenir, pas si ancien, ou j’accompagnais deux députés suffisamment convaincus alors de la nécessité d’un Droit à l’Écrit pour l’Accès aux droits pour qu’un soir de décembre, nous soyons reçus au Ministère des Affaires sociales. Un Droit à l’Écrit où le rôle et le statut des écrivains publics étaient bien évidemment au cœur du projet. Mais les fêtes de fin d’année et un remaniement ministériel sont passés par là et il n’a plus jamais été question du doux rêve d’un projet de loi qui aurait permis la création de ce Droit à l’Écrit, pas plus qu’un éventuel statut pour les écrivains publics du reste…
En 2009, une autre tentative, plus solennelle celle-là, n’avait guère eu plus de chance lorsqu’une sénatrice PS de l’Essonne, Mme Claire-Lise Campion, avait interpellé le ministre du Travail de l’époque sur la « nécessité de réglementer la profession d’écrivain public ». Dans sa réponse, le Ministère avait su ménager la chèvre : « Les prestations assurées par les écrivains publics méritent d’être encouragés dans la mesure où elles apportent un service à une frange de la population qui, pour de multiples raisons, dispose d’une maîtrise insuffisante des techniques de l’écrit. », mais pas les choux : « Si ces prestations méritent d’être soutenues, il ne peut en revanche être envisagé au moment ou la France commence à transposer la directive relative aux services dans le marché intérieur, de réglementer l’accès ou l’exercice de cette activité. »
Alors, les joueurs vidéos professionnels plus convaincants que les écrivains publics ? Pas sûr. Mais plus lourd sur un plan économique, ça c’est certain. D’un côté, 200 professionnels, 850 000 pratiquants et un marché de 22 millions de € qui ne peut laisser personne indifférent, y compris un train de sénateurs.
De l’autre, quelques centaines de professionnel-les et des utilisateurs (à défaut de pratiquants…) que l’on peut aussi chiffrer en centaines de milliers, et même en millions. Et si le poids économique des écrivains publics relève vraisemblablement de la catégorie « poids plume » – ce qui leur vaut notamment le même code APE que les dresseurs d’animaux ou les escorts girls -, il reste pourtant un critère indiscutable : une plus-value sociale inestimable. Mais ça, c’est manifestement sans valeur marchande…