L’écrivain public à vocation sociale en question

Le recensement des écrivains publics

Réalisé en 2014, le recensement des écrivains publics qui interviennent dans le champ social a notamment permis de mettre en évidence que ce sont, a minima, 100 000 interventions à caractère social qui sont effectuées chaque année par les écrivains publics.

Certes, le chiffre peut paraître dérisoire en regard des millions de personnes accueillies à la Sécurité sociale, la CAF ou Pôle Emploi. Mais un chiffre qui en dit déjà beaucoup sur les besoins de celles et ceux qui ont en commun une même nécessité : accéder à leurs droits.

«(…) Fondé sur une structure écrite et codifiée, le droit français donne une primauté à l’écrit. Et si la plupart des décisions administratives indiquent bien les voies de recours possibles et leurs délais, celui ou celle qui entend contester une décision ou revendiquer un droit doit systématiquement produire un écrit. Toutefois, personne n’ira vérifier que le demandeur est en capacité de le produire. »
Un Droit à l’Ecrit pour l’accès aux Droits : pourquoi ?

Les enjeux d’aujourd’hui
Certes, l’illettrisme ou l’analphabétisme constituent des raisons objectives de ces difficultés d’accès aux droits, mais pour partie seulement. Il existe en réalité un très large éventail de causes et motivations qui conduisent une personne à solliciter une aide à l’écrit.

Celles et ceux qui tiennent des permanences régulièrement – en même temps que des statistiques rigoureuses — pourront aisément le vérifier : l’aide rédactionnelle et l’assistance administrative représentent entre 130 et 150 sujets récurrents de demandes. Soit autant de raisons pour quiconque de solliciter une administration, de remplir un dossier ou de contester une décision. Une tache comme une autre pour le plus grand nombre (quoique…), mais un véritable Golgotha pour celui qui ne sait pas et qui, de plus, n’a pas les mots pour le dire.

Or, de la même façon que l’on ne confiera pas sa santé ou ses problèmes de vie à son voisin sous prétexte qu’il est passionné de médecine ou doté d’un grand sens de l’écoute, pourquoi les problématiques relatives à l’écrit et l’accès aux droits ne méritent pas à chaque fois un diagnostic et une réponse à la hauteur des enjeux ?

De même, on ne compte plus les colloques, séminaires ou réunions qui, depuis la Conférence contre la pauvreté de décembre 2012, ne manquent plus désormais de poser la question du non-recours aux droits. Le constat y est souvent implacable, mais, curieusement, les solutions pour y remédier sont rarement envisagées avec la même opiniâtreté, voire totalement ignorées.

On pourrait alors se réjouir que tant de structures, institutionnelles ou non, aient mis en place des permanences d’écrivains publics. Et qu’il s’agisse de répondre au constat d’un besoin ou, plus rarement, à une demande d’habitants confrontés à des difficultés, on peut s’étonner, en revanche que ces mêmes institutions, oublieuses tout à coup des règles strictes et parfois complexes qui prévalent dans les démarches administratives, fassent un recours, parfois massif, à des bénévoles qui n’ont bien souvent que leur seuls bon sens et bonne volonté en guise de compétence et de formation.

Et ceux de demain
Aujourd’hui, à l’image de la CARSAT qui ne reçoit quasiment plus que sur rendez-vous, la CAF envisage un même dispositif en fermant ses accueils tout-venant département après département. De son côté, Pôle Emploi a même pris de l’avance : un accompagnement 100 % Web, mais aussi des entretiens de demandeurs d’emploi par visioconférence sont testés dans certaines agences.

Récemment, les médias se faisaient l’écho de l’opération « Faire simple », deuxième phase du Choc de simplification des démarches administratives mis en place par le gouvernement en 2013.

Une visite sur le site en question http:///www.faire-simple.gouv.fr/comment-ca-marche nous apprend qu’il s’agit d’une « plateforme collaborative » et réservée par conséquent à ceux qui possèdent le matériel, mais aussi la pratique d’internet. Quant à la simplification des démarches, il est désormais acquis qu’elle passera pour l’essentiel par une dématérialisation comme l’évoquait, en 2011, un rapport de l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives (ANSA) : « Conformément au Plan France Numérique, le gouvernement souhaite dématérialiser l’ensemble des démarches administratives pour 2020. »

Pourtant, le même rapport, consacré à la fracture numérique, précisait que « 57 % des gens situés en dessous du seuil de pauvreté n’ont pas d’équipement informatique… » Une réalité toujours d’actualité, mais que certaines administrations semblent considérer comme un faux problème. À titre d’illustration, un étranger qui souhaite obtenir ou renouveler un titre de séjour dans le Gard doit prendre un rendez-vous par courriel, et uniquement par courriel…

Faut-il y voir la démonstration que si cela fonctionne avec ceux qui sont le plus souvent éloignés de la maîtrise du français tout autant que d’internet, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas avec le plus grand nombre ? Après tout, l’axiome est simple : 80 % des populations accueillies dans les services publics occupent 20 % du temps des agents. Mais les 20 % restant accaparent 80 % du temps des mêmes agents.

Seulement, qui pourrait croire que celles et ceux qui sollicitent aujourd’hui une aide rédactionnelle ou administrative seront rapidement convertis au numérique ? Mieux, que les 7 % d’illettrés que comptait notre pays en 2013 auront également disparu. Une ambition, dans les deux cas, qui risque fort de rester une utopie. Par contre, le non-accès aux outils comme internet a déjà généré une nouvelle forme d’illettrisme, son avatar appelé illectronisme. Deux mots pour une même exclusion et un enjeu de plus pour demain.

Un métier spécifique et à part entière
Face à ces réalités, il convient de ne pas se tromper de débat.

100 000 interventions ce sont autant de femmes et d’hommes, de jeunes ou de personnes âgées, confrontés à des problématiques sociales, économiques ou les deux. Un peuple d’invisible ou presque qui ne fait l’objet, hormis pour l’illettrisme, d’aucune statistique particulière, mais qui chaque jour, pourtant, pousse la porte d’une permanence pour obtenir une aide et une réponse, surtout, aux 150 sujets évoqués plus haut. 150 sujets qui sont autant ou presque de procédures qu’il faut connaître et maîtriser. 150 sujets qui nécessitent des connaissances et compétences diverses, sans oublier un indispensable savoir-faire relationnel et psychologique.

150 sujets qui nécessitent l’intervention d’un professionnel : l’écrivain public. Mais complété d’une expérience certaine des personnes en difficulté avec l’écrit – et parfois aussi avec la vie… -, et nous avons là tous les ferments d’un métier spécifique et à part entière : l’écrivain public à vocation sociale. Sa mission première ? Garantir à chacun d’accéder à ses droits, quelque soit son niveau de maîtrise de la langue.

Or les résultats du recensement sont là : 57 % des intervenant(e)s n’ont suivi aucune formation et n’ont le plus souvent d’écrivain public que le nom. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser quiconque, mais de s’interroger, en revanche, sur la réflexion qui a conduit à la mise en place de ces permanences et constater que dans prés d’un cas sur deux, les difficultés liées à l’écrit et l’accès aux droits sont confiés à des bénévoles.

Un constat d’autant plus inquiétant que le 24 juin dernier, le président de la République faisait la promotion de « La France s’engage » http://lafrancesengage.fr/ Une démarche dont la vocation est de mettre en valeur, par le biais d’un « label présidentiel », des projets « isolés, mais prometteurs, portés par des bénévoles et profitables à la société. » Un projet constitué d’un « fonds d’expérimentation (…) de 50 millions d’euros d’ici 2017. » Alors, le bénévolat comme seule ressource de l’innovation sociale ? Et un paradoxe à tout de même 50 millions d’euros…

Du côté des professionnels, nul n’ira contester que la « vocation sociale » est constitutive du métier d’écrivain public et presque un pléonasme. Que des écrivains publics libéraux tiennent également des permanences dans le social et que tout professionnel qui se respecte aura à cœur le lien social comme finalité de sa pratique. C’est vrai.

Il est tout aussi vrai qu’un écrivain public libéral s’inscrit dans un marché où des clients accèdent en fonction de leurs moyens. Mais lorsque l’écrivain public à vocation sociale répond à des demandes, ces besoins sont exprimés par des personnes le plus souvent en difficulté économique et qui ne peuvent par conséquent avoir recours à des prestations payantes.

Dès lors, le débat n’est certainement pas d’opposer les uns aux autres, mais bien de convaincre ceux qui décident de la mise en place de permanences que l’écrivain public à vocation sociale est avant tout un professionnel qui vit et doit vivre de son travail.

De plus, et à l‘heure où, précisément dans un souci de bonne gestion de l’argent public, les contrôles sur les aides sociales et allocations diverses se multiplient. À l’heure où le regard des Français sur la pauvreté tend à se durcir, comme l’indique une récente étude du CREDOC http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/serieetud126.pdf, il serait facile de démontrer en quoi l’écrivain public à vocation sociale permet aux uns d’accéder à leurs droits comme aux autres d’éviter d’en sortir à cause de négligences ou par méconnaissance des règles.

Il serait tout aussi aisé de démontrer comment il contribue régulièrement à diminuer le non-recours aux droits sociaux, en informant, par exemple, un retraité titulaire d’une petite pension qu’il est probablement éligible à l’Aide à la Complémentaire Santé. Mais sa capacité également à réorienter une personne vers la structure ou l’interlocuteur had oc grâce à sa parfaite connaissance de l’organisation sociale de son territoire d’intervention.

Enfin, pourquoi il coûtera toujours moins cher à la collectivité d’aider quelqu’un à faire un courrier et accéder à ses droits que de reconstruire une vie sociale à celui qui n’ouvre même plus son courrier et à renoncer à tout.

Mieux (se) préparer pour demain
Présents ou à venir, se sont bien à des enjeux de société auxquels les écrivains publics vont devoir faire face, car il va s’agir d’aider chacun, ceux qui d’un côté sollicitent une aide et de l’autre ceux qui sont chargés d’y répondre, à mieux se préparer pour demain.

C’est assurément un vaste chantier dont il convient de se saisir et le recensement en constitue une première expression. Aussi, un grand merci à celles et ceux qui ont pris de leur temps pour répondre au questionnaire, mais qui ont souhaité également, pour certains, faire part de leurs sentiments et commentaires sur ce métier déjà particulier, l’écriture publique, mais aux contours souvent flous et aux questions parfois sans réponses dès lors qu’il est exercé dans un contexte social.
C’est dans la volonté d’instaurer un dialogue, de l’enrichir et de le partager que nous avons mis en place le Réseau EPSO, Le Réseau des Écrivains Publics à vocation Sociale, avec trois objectifs :

– Créer un réseau national de réflexions et de travail avec des écrivains publics qui exercent leur métier essentiellement dans le champ social.
Car c’est dans le partage, l’échange, mais aussi la confrontation des pratiques et de leur diversité que nous parviendrons à une définition commune de l’écriture publique à vocation sociale, de sa charte déontologique et d’un référentiel métier adapté aux différents cadres possibles d’exercice.

– Concevoir et proposer des formations spécifiques sur l’Écriture Publique à Vocation sociale.
Exprimés fréquemment par celles et ceux qui sont déjà en activité mais qui n’ont suivi aucune formation préalable, ce sont des besoins ponctuels auxquels des cursus complets comme la licence professionnelle de la Sorbonne ou le D.U de l’université de Toulon ne peuvent répondre. De plus, mais à preuve du contraire, il n’existe pas aujourd’hui d’offre de formations permettant, par exemple, une maîtrise parfaite et les procédures réglementaires liées aux quelques 30 à 35 dossiers ou formulaires fréquemment rencontrés lors de permanences d’écriture publique dans le secteur social. Et bien d’autres thèmes sont à envisager !
Pour les bénévoles, et de la même façon qu’il est inconcevable aujourd’hui d’encadrer des enfants sans un diplôme, la création d’un Brevet d’Aptitude à l’Activité d’Écrivain Public serait tout autant la reconnaissance de leurs compétences que de leur engagement.

– Promouvoir le Droit à l’Écrit pour l’Accès aux Droits.
Initié en 2012, puis relayé par deux députés du Gard en 2013, les chercheurs de l’Odenore http://odenore.msh-alpes.fr/ ont été sollicités cette année afin de mettre en place et mesurer une expérimentation indispensable à la création de ce droit nouveau. Processus long et compliqué, le projet a emprunté depuis un nouveau méandre, qui sans nous désespérer d’arriver à bon port, nous oblige tout de même à souquer un peu plus fort sur les rames. Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant des avancées (ou pas…) de notre traversée.

La parole est à vous
Certes, le programme est vaste mais l’ambition est grande. Et si le recensement a surtout permis de se compter, il appartient aujourd’hui à tous les écrivains publics professionnel(e)s. concerné(e)s – ou tout simplement intéressé(e)s ! – de faire savoir qu’il faut maintenant compter sur eux et avec eux.

Pas seulement sur l’indispensable reconnaissance du métier d’écrivain public que sur leur détermination à définir et mettre en place un cadre professionnel à son exercice dans le domaine social.

C’est donc à vous maintenant de témoigner, réagir, suggérer et contribuer dans tous les cas à faire entendre votre voix et être partie prenante dans ce débat.

Ce blog en sera la courroie de transmission et nous espérons vous y retrouver très nombreux prochainement.

Pour le Réseau EPSO
Franck Danger,
Écrivain public à vocation sociale

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1 réflexion sur « L’écrivain public à vocation sociale en question »

  1. Bonjour,
    J’aimerai savoir comment exercer ma passion de l’écrit au travers de l’aide à autrui qu’est ce métier d’écrivain public?
    Passionnée de l’écriture et juriste de formation comment se faire connaître dans ce domaine en parfaite autodidacte.
    Merci de votre réponse.
    Cordialement.

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